Home Notre village Via Domitia Autour de l'étang Le Canigou Passion tomate Les plantes de la Saint Jean Traditions et culture catalanes Nous écrire copyright |
Quelques particularités curieuses sur Riquet,
extraites des manuscrits de Colbert.
Extrait d'une lettre de Riquet à Colbert du 20 décembre 1664
Extrait d'une lettre de Riquet à Colbert de juillet 1665
Extrait d'une lettre de l’archevêque de Toulouse à Colbert du 28 septembre 1667
Extrait d'une lettre de l'archevêque de Toulouse à Colbert du 12 novembre 1672
Le premier document est une lettre adressée par Riquet au ministre, qui s’intéressait beaucoup au projet du canal du Languedoc. Cette lettre est datée du 20 décembre 1664 : ‘’Monseigneur, ce travail ne peut se faire qu’avec de grandes dépenses, et puisque mon premier dessein s’augmente de plus de moitié, il est à croire que la dépense sera de même ; mais, à considérer les choses comme elles le doivent être, ce qui semble dépense n’est qu’avance, puisque c’est un bien qui va vous revenir, et que c’est un retour perpétuel que l’argent qui passe des mains du souverain en celles de sujets. A la vérité, il ne se peut pas faire que le roi n’en baille beaucoup, s’il plaît à Sa Majesté de gratifier ses peuples de ce grand ouvrage ; mais cet argent, passant des mains des ouvriers en celles des propriétaires des terres, qui leur vendront le pain et le vin, ceux-ici par l’ordre de cette province, le rapporteront à sa source, étant très-constant que le Languedoc proportionne son don gratuit à ses forces, et qu’à même qu’il est riche, son présent l’est aussi (1). Peut-être, Monseigneur, trouverez-vous mauvais qu’un petit homme comme moi porte ses pensées si haut… Je vous en demande excuse, et je vous supplie de faire considération que, quoique je sois petit, la matière dont je vous entretiens étant grande, il ne se peut pas faire que je m’élève au-dessus de moi-même…..’’
La question d’argent, comme on voit, arrêtait l’entreprise à son début. Mais Riquet, qui avait foi dans son projet, lève l’obstacle :
‘’…J’offrirai, dit-il, d’en faire l’avance à mes périls : je veux dire qu’en cas que je réussirai point, mes fournitures me reviendront à pure perte, en quoi je risque honneur et bien ; car si je manque d’exécution, je passerai pour un visionnaire, et j’aurai perdu une grande somme du plus clair de mon bien.’’
En mûrissant son idée, Riquet trouve des expédients qui doivent épargner du temps et de la dépense, et à la fin de juillet 1665, il écrit à Colbert :
‘’Quant à la réussite, elle est infaillible, mais d’une manière toute nouvelle, et où jamais personne n’avoit pensé. Je me compte dans ce nombre ; car je puis vous jurer, Monseigneur, que le chemin par où je passe maintenant m’avoit été toujours inconnu, quelque diligence que j’eusse faite pour le découvrir. La pensée m’en vint à Saint-Germain : j’en songeai les moyens, et, quoique fort éloigné, ma rêverie s’est trouvée juste sur les lieux ; le niveau m’a confirmé ce que mon imagination m’avoit dit à deux cents lieues loin d’ici.
‘’Par cette nouveauté, je dispense mon travail de tous regonflements, de toutes chaussées et de toutes mines, et je le conduis par la superficie de la terre, par enfoncements égaux et par pentes naturelles, en sorte que je rends la chose aisée et d’entretien facile, et je décharge la grande rigole de dérivation d’environ 400 000 livres de dépenses, que les regonflements, les chaussées et les mines avoient été évalués, outre le long temps qu’il auroit fallu pour l’assemblage des matériaux et pour la construction.
‘’ Voilà, Monseigneur, en quel état je suis, et voici la réflexion morale que je fais. Je conviens que l’on peut tout, ayant la grâce ; étant vrai que celles que je reçus un jour de vous à Saint-Germain produisirent la pensée qui donne tant de facilité à mon ouvrage. Une étincelle de votre grand génie passa dans le mien petit ; j’en fus échauffé, et j’entrai dans un enthousiasme qui causa cette heureuse production par laquelle je peux dire, parlant hyperbole, qu’à peu de frais j’ai comblé les vallons, aplani les montagnes, et contraint les eaux à m’obéir.’’
![]() |
Pierre Paul Riquet 1604-1680 Dessin de Chevignard |
Il fait ressortir les avantages de cette belle entreprise :
‘’… Vous considérerez, s’il vous plaît, Monseigneur, que ce canal, communiquant la Garonne au Rhône, donnera sujet à toutes les villes de cette province de faire des dépenses en leur particulier, pour avoir de petits canaux qui communiquent à celui-ci. Je remarque qu’il n’y a pas une d’elles à qui la nature n’en présente les moyens : l’Albigeois le peut faire par sa rivière du Tarn ; le Castrois, par celle d’Agout ; le Foix, par l’Arière ;le Mirepoix, par le grand Lers ; Béziers, par celle d’Orbe ; Pézenas, par l’Hérault ; Montpellier, par son ancien canal que le temps a ruiné et par la rivière Lez ; Lunel, par sa Robine ; Nîmes, par sa fontaine ; et Toulouse, Castelnaudary, Carcassonne et Narbonne s’y rencontrent situés dessus, aussi bien que toutes les villes le long du Rhône.’’
Enfin l’affaire marche : ‘’…Les moins intentionnés et les plus incrédules seront contraints d’avouer, par cette épreuve sensible (on venait d’achever la rigole d’essai), que ce que j’aurai fait est une belle chose. Peu de gens avoient foi pour la réussite ; est maintenant qu’on ne la voit plus douteuse, la plupart disent que ce que j’ai fait tient du miracle, que cela ne se pouvoit sans le secours de Dieu ou la participation du diable. Je conviens du premier, et, du reste, on me fera justice, quand on dira de moi que j’ai quelque peu de nature, point d’art, et que je ne suis pas magicien.’’
Le 28 septembre 1667, l’archevêque de Toulouse mande à Colbert : ‘’Hier, le sieur Riquet vint encore ici pour savoir si je vous écrirais touchant les trente mille mûriers qu’i s’oblige à faire planter le long de sa rigole et de son canal, et que, l’accommodant d’un de ses collèges pour y faire loger tous les ouvriers nécessaires à préparer et à filer les soies, il y accommodera un quartier pour y demeurer ; bien entendu que le logis sera toujours au roi, pour y mettre qui il lui plaira. Les logis de ces collèges sont grands comme la plupart des hôtels de Paris, et, outre cela, ont de grands jardins. Il fait travailler sur le bord de la Garonne, pour poser la première écluse, où il y a près de trois cents ouvriers. Toute la ville de Toulouse voit cela avec joie, et jamais les Toulousains n’avoient eu de foi au canal que maintenant.’’
Cependant le projet de Riquet rencontra de l’opposition ; nous ne parlons pas des envieux, qui surgissent toujours en pareille occasion, et dont Riquet écrivait à Colbert, en 1669 :
‘’…Dans un mot, Monseigneur, mon travail est toute ma passion ; j’en dois souhaiter l’achèvement parfait, pour me satisfaire moi-même et pour fermer la bouche à l’envie, qui ne sauroit s’empêcher de s’en prendre à la moindre apparence de vertu. --- La nouvelle de la dignité que vos hauts mérites vous ont acquise de nouveau (Colbert venait d’être nommé secrétaire d’Etat) a donné une joie inconcevable ; et moi, j’en suis rajeuni de vingt ans. Je vous souhaite avec cela une santé parfaite et une longue vie.’’
Le cardinal de Bonzy, archevêque de Toulouse, président des Etats de Languedoc, fut en quelque sorte obligé d’enlever le vote des députés de la province ; en 1672 plusieurs membres des Etats n’étaient pas encore favorables à l’entreprise, et le prélat mande à Colbert, sous la date du 12 novembre :
‘’…Il (l’intendant de la province) nous a dit ensuite que l’affaire eu faveur de M. Riquet seroit difficile, et si nous ne serions pas d’avis qu’il vous proposât d’employer quelque somme de 25 à 30 000 livres parmi les consuls, pour la rendre plus facile et moins exposée à contradiction. Nous lui avons répondu que c’étoit à lui de juger de cela, et que nous l’assurions que tous ceux qui dépendent de nous feroient leur devoir, sans qu’il en coutât rien au roi.’’
Ce paragraphe confidentiel est écrit tout en entier de la mai du cardinal ; le reste de la lettre est écrit par un secrétaire.
M. de Bonzy n’avait pas prévu ces résistances ; car en parlant à Colbert, le 15 décembre 1662, du projet de canal, alors tout nouveau, il disait : ‘’Je crois que vous aurez eu la lettre que je vous écrivis sur la proposition que vous devoit faire M. Riquet du canal pour la jonction des deux mers. Je vous assure que celui-là sera embrassé des peuples et de la noblesse de Languedoc, et que chacun fera un dernier effort pour y contribuer. Au moins ils m’en parlent tous d’eux-mêmes comme cela, et quand vous ne feriez que donner commission à vérifier sur les lieux ce que M. Riquet vous en écrit, cela releveroit l’espérance de cette province infiniment…’’
Chose singulière ! l’opposition venait des consuls et des villes qui devaient le plus profiter de l’établissement du grand canal. L’intérêt privé l’emportait sur l’intérêt général. On vit plusieurs membres des Etats de Languedoc s’opposer aussi au desséchement des marais d’Aigues-Mortes, dans la crainte que si les marais étaient convertis en terres arables, le blé ne baissât de prix ; et alors les propriétaires n’auraient pu vendre leur grain aussi cher que par le passé.
Mais Colbert ne se laissait pas arrêter par ces considérations mesquines. Fidèle à son caractère, le grand ministre défendit encore cet intérêt général contre le fils même de Riquet, qui avait continué les travaux, et, en sa qualité de seigneur du canal, revendiquait certains privilèges préjudiciables au public.
Cet article est extrait de la revue "Le magasin pittoresque" datant de 1858.
1 : Le Languedoc, en sa qualité de pays d'Etats, avait le droit de fixer lui-même la quotité de ses impôts de là le nom de don gratuit.