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Retour au synoptique des recettes d'anguilles

 

Croquis gastronomiques du Maitre Fulbert-Dumonteil 1907

 

Il y a longtemps que l'anguille s'est glissée dans mon estime. Je la connus et je l'aimai. C'est peut-être le plus savoureux des poissons fréquentant les rivières aux eaux vives et courantes. La vase des étangs est son déshonneur. Il lui faut des sources claires. D'aucuns prétendent que sa chair blanche et grasse est indigeste. J'ai savouré l'anguille à toutes les sauces qu'elle ennoblit avec une souplesse triomphante, et je n'eus jamais à me plaindre des charmes de sa chair.

La sauce tartare est peut-être la gloire de l'anguille, je la préfère cependant - quand elle est de forte taille - à la broche, piquée de truffes odorantes, enveloppée d'un papier beurrée, rôtie vivement et servie dans un long plat avec une sauce savante, orange douce et vieux madère, à la gelée du maître Casimir de la Maison Dorée.

Je professe aussi une sympathie des plus sincères pour l'anguille "au soleil", sauce exquise ! Artistement dépecée et cuite dans une marinade, on l'égoutte avec soin, la laissant refroidir ; puis on la roule dans la mie de pain, après l'avoir trempée largement dans des œufs bien battus. Il n'y a plus qu'à la faire frire pour la servir enfin sur une sauce ravigote, entourée d'olives farcies.

L'anguille "au soleil" est la bien nommée Ses tronçons dorés dans la friture semblent refléter des rayons. C'est un plat riant, joyeux, comme ensoleillé.

 

Piquée de filets d'anchois et de cornichons disposée en cercle gracieux sur une sauce tomate, relevée de piments de Cayenne, l'anguille "à la Suffren" est un charme pour les yeux, un régal pour la bouche. L'anguille "à l'anglaise" se cache coquettement sous une pâte fine qui lui fait, au contact de la friture, comme une robe d'or. Mais mon plat de prédilection, c'est l'anguille "à l'accolade".

Je ne sais rien de plus joli et de plus touchant : Il s'agit de deux belles anguilles, rondes et grasses et énormes. Les têtes et les queues étant coupée, on ficelle gentiment les anguilles dos à dos sur un attelet de fer. Ce couple - si étroitement uni qu'il ne semble faire qu'un seul poisson - est expose dans une poissonnière avec un jus savoureux de racines et trois ou quatre verres de bon vin d'Espagne.

Après vingt minutes de cuisson, on retire les anguilles, on les passe, on les égoutte, on les met à la broche, enveloppées avec soin de papier beurré. Au bout d'une demie heure, on débroche, on sert et l'on procède par la fourchette au divorce des époux. Une sauce parfumée accompagnera "l'accolade d'anguille" : Jus des quatre racines réduit à l'état de glace, un bon verre de Xeres, poivre blanc, coriandre et fleur de muscade.

La "matelote" d'anguille que réjouit l'oignon doré, est un plat rustique et joyeux, cher aux amoureux et aux canotiers déjeunant là-bas, aux bords de la Marne ou de la Seine, cous la verte tonnelle d'une guinguette, auprès des moulins où murmurent les eaux.

Ah ! Je sais bien que ces matelotes champêtres où la carpe vulgaire remplace trop souvent la délicate anguille, ne sont pas irréprochables.

Mais, à vingt ans, on n'est pas plus difficile en cuisine qu'en amour.

On sait que l'anguille est vivipare et amphibie, qu'elle rampe sur le sol comme elle nage dans l'eau, qu'elle a deux existences, deux demeures, deux couverts, deux régimes. Dans les rivières, elle déjeune de petits poissons ; dans les prés, le soir et surtout la nuit, elle soupe d'insectes, limaces, grillons et sauterelles.

L'anguille est "l'ondine des rivières". Elle glisse, s'échappe, revient, ondule, se dérobe encore, glisse toujours et disparaît. Plus on la serre, moins on la tient, et, quand on croit la tenir, elle est libre, c'est l'emblème de la déception.

Mais ce n'est pas une déception, grand dieux ! lorsqu'elle apparaît sur la nappe blanche, dans un plat de porcelaine fine, aimablement accommodée "à la tartare" ou "au soleil" !